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Sciences cognitives : 

Conscience et libre arbitre

1 mars 2021

Je pense donc je suis”. Selon Descartes, la seule chose dont on ne peut douter est l’existence de sa propre conscience. Savoir si les autres sont conscients ou non ne relève que de ma perception et de la confiance que je peux attribuer à leurs témoignages.

Qu’est-ce que la conscience ?

En partant du postulat que vous n'êtes pas le produit de mon imagination, et que vous dites vrai lorsque vous affirmez être pourvus de conscience, on peut mettre au point des protocoles expérimentaux sur l’homme. Il a ainsi été possible d’associer le témoignage de la conscience à l’activation de certaines régions du cerveau, enregistrée par imagerie par résonance magnétique (IRM) fonctionnelle. L’imagination consciente d’un mouvement ou d’un lieu peut être corrélée, à travers, par exemple, l’activation de certaines régions de notre cortex moteur ou de notre hippocampe.

Un autre exemple frappant est celui du cortex visuel. L’information visuelle est traitée par deux voies dans le cerveau, une voie dorsale et une voie ventrale. Une lésion du cortex visuel, la première étape du traitement dorsal de l’information, peut induire une perte de la perception visuelle consciente. Autrement dit, la personne n’a plus conscience de voir. 
Et pourtant, ces personnes sont parfois capables d’éviter des obstacles et de donner des informations sur leur environnement. On parle de perception aveugle. Cela pourrait s’expliquer par le fait que la voie ventrale continue de traiter une partie de l’information de manière inconsciente.
La conscience semble donc être liée à l’activité de certaines structures.

Comment détecter la conscience  ?

Pour savoir si des animaux sont conscients ou non, on peut chercher à savoir s’ils sont capables de réaliser des tâches cognitives complexes et s’ils partagent les même structures cérébrales que nous. Cependant, le manque de communication possible nous contraint à la spéculation. Pour des espèces proches, tel que le chimpanzé, il serait judicieux de penser que, ayant des structures cérébrales et des comportements proches des nôtres, elles seraient comme nous dotées de conscience. En revanche, plus une espèce est éloignée, plus il est difficile d'interpréter un comportement sans tomber dans l’anthropomorphisme. Et pour une machine, dont l’organisation cognitive pourrait être bien différente, c’est pire encore…

La conscience peut-elle être dissociée du libre arbitre ?

On pourra rétorquer que la machine répond à des stimuli selon un programme déterministe et qu’elle n’a donc pas de libre arbitre. Tandis que moi, si j’ai pris la décision d'écrire cet article, c’est parce qu’il me semble avoir fait un choix conscient. Si l’on écarte mes biais cognitifs, mes conditionnements sociaux et autres contraintes qui influencent ma prise de décision, je me sens quand même libre de taper tjjrix sur mon clavier. En 1674 Spinoza, dans sa critique du libre arbitre, utilise la métaphore d’un caillou doué de volonté consciente. Si le caillou est lancé, qu’il éprouve une volonté et des sensations, et qu’il ignore la cause de son mouvement, il pourrait alors s’en sentir responsable. Comme on a vu que la conscience s’appuyait sur des structures spécifiques, cela semble compliqué pour le caillou. Reste que la métaphore tient toujours. Si l’homme se croit libre d’agir, serait-ce parce qu'il éprouve une volonté consciente mais qu’il ignore les causes qui le déterminent ? Qu’en dit la science ?

Plusieurs études mettent en doute le lien entre la conscience et la prise de décision. 
Une étude parue en 2008 dans “Nature neuroscience” observe la temporalité entre l’activité du cerveau et la conscience associée à une prise de décision. Dans cette étude, les sujets sont devant un écran sur lequel défilent des lettres. Ils ont accès à deux boutons, et peuvent choisir librement sur lequel appuyer. Ils doivent alors noter quelle était la lettre affichée à l'écran au moment où ils ont fait leur choix. Dans cette étude, l’activation de certaines régions du cerveau permettait de connaître la décision prise par la personne 7 à 10s avant qu’elle ne déclare en avoir eu conscience. Cela suggère que la conscience survient après les causes cognitives ayant permis la prise de décision.

Chez certaines personnes dont les deux hémisphères du cerveau ont été séparés, il est parfois possible de mettre en évidence des contradictions entre des causes inconscientes ayant induit une prise de décision, et le témoignage d’un raisonnement conscient qui l’accompagne. En effet, la latéralisation de certaines fonctions cérébrales dont le langage permet à un hémisphère d’agir à partir d’éléments dont lui seul dispose. Une personne dont une décision a été produite dans le cerveau droit, pourra alors s’exprimer en inventant des causes à sa décision via le cerveau gauche. Les raisons ayant conduit à une prise de décision peuvent être différentes de nos justifications conscientes, et décorrélées temporellement. Si tant est que notre libre arbitre existe, notre perception en est faussée.

Si l’on saute l’étape de savoir si le libre arbitre existe, on pourrait se demander comment. Là encore, selon l’état de nos connaissances, notre cerveau suit des lois physiques. Celles-ci sont soit déterministes, soit potentiellement aléatoires. Mais il n’y a pour le moment aucune évidence qu’une loi physique pourrait introduire le libre arbitre. 

Il reste encore beaucoup de choses à découvrir sur l'origine de la conscience et la possibilité du libre arbitre. Cependant, ces découvertes posent la question de la corrélation entre notre conscience et le libre arbitre, dont l’existence même pourrait-être remise en question. En plus des questions éthiques que cela peut susciter, cela interroge sur les frontières que l’homme a pu placer pour se séparer des autres animaux et peut être de futures intelligences artificielles.

Oscar Nodé-Langlois

En savoir plus

[1] L. Weiskrantz, J. L. Barbur, and A. Sahraie, “Parameters affecting conscious versus unconscious visual discrimination with damage to the visual cortex (V1).,” Proc. Natl. Acad. Sci. U. S. A., vol. 92, no. 13, pp. 6122–6, 1995. 
[2] B. SPINOZA, lettre à Schuller, in Œuvres, Paris, Éd. Garnier-Flammarion, 1955, tome 4, pp. 303-304
[3] C.S. Soon et al., Unconscious determinants of free decisions in the human brain, Nature Neuroscience 11, p.543 – 545 (2008)
[4] Wegner DM., The mind’s best trick: how we experience conscious will, Trends Cogn Sci. :65-69 (2003)

Article paru dans Je Science donc J'écris n°26 - Mars 2021